Bangui : prendre nos responsabilités

26 avril 2014 at 8 h 13 min

Tant de choses ont changé depuis un an en République Centrafricaine. En mars 2013, le gouvernement a été renversé et depuis décembre un nouveau cycle de conflits et d’incertitudes a affecté des millions de vies. Mais qu’est-ce que cela signifie dans la vie de tous les jours, en terme de courage et de lutte ?

131215-BANGUI-SEL-47-85319 2

Germaine, une amie d’ATD Quart Monde, doit parcourir de plus grandes distances pour faire vivre son petit commerce. La plupart des musulmans ont fui Bangui, et avec eux une grande partie de l’économie de la ville. Beaucoup d’entre eux travaillaient comme intermédiaires dans l’importation de marchandises depuis l’étranger,  si bien qu’en leur absence, Germaine doit se rendre en pirogue en République Démocratique du Congo (RDC ) pour acheter des produits. Au final, elle gagne moins  – tout est plus cher en RDC – une fois déduit le coût du voyage aller et retour.Il y a une lassitude croissante parmi la population. Mais récemment, une réunion de prière pour la paix a eu lieu au stade de basket-ball principal, avec la participation de membres de toutes les confessions religieuses, de la Ministre de la communication et de la réconciliation nationale, ainsi que des membres de groupes armés. Boris a participé et a fait remarquer que c’était la première fois en un an qu’il assistait à un meeting d’une telle ampleur.

Dans la Cour de la maison d’ATD Quart Monde, où des amis sont encore hébergés jusqu’à ce qu’ils puissent rentrer chez eux, notre équipe essaie par tous les moyens de continuer avec les activités planifiées avant le début de la dernière vague de violence. Chaque dimanche, c’est  » Ciné Savoir « .  Au programme, des films du monde entier. C’est celui sur l’Afrique du Sud qui a le plus touché les personnes présentes.  «  C’est le genre de film dont notre pays a besoin » ont dit certains : un film qui aide à visualiser le pays et à le voir sous un jour positif.

Les jeunes animateurs des bibliothèques de rue, amis de longue date du Mouvement ou jeunes stagiaires, continuent d’apporter des livres et des activités artistiques dans le camp de réfugiés près de l’aéroport. Ils travaillent également pour aider les nouveaux arrivants dans le camp à s’orienter et à trouver leur chemin. La bibliothèque de rue est devenue une sorte de point de référence pour tout le monde dans le camp. Une journée portes ouvertes en février a permis de faire connaître le travail effectué à une large audience.

pirogue sur le fleuve Oubangui (DR)

pirogue sur le fleuve Oubangui (DR)

(…)

Il y a peu,  une trentaine de jeunes d’associations différentes sont venus à la Cour pour une formation organisée par une ONG autour de la protection de l’enfance. « C’est surtout Daniel qui a rassemblé tout ce monde et vraiment c’était très chouette de les avoir autour de nous. Nous les avons accueillis avec des chansons, ensuite Daniel nous a présentés, chacun(e) a dit un mot, on a lu quelques messages des enfants de Côte d’Ivoire. Bref, la vie était encore à nouveau là et c’était génial de voir cette jeunesse qui bouge pour d’autres, qui est heureuse de se rassembler et qui met la main à la pâte. Nous avons la chance d’être témoin de ça » raconte Froukje, une volontaire permanente de l’équipe.  C’était la première fois en 6 mois qu’une réunion pouvait se tenir dans la Cour.

En arrière-plan, la violence est toujours présente. Lors d’un échange à la Cour, quelqu’un mentionnait un jeune, mort d’une balle perdue à l’âge de 14 ans. Personne ne le connaissait, mais les uns et les autres ont commencé à s’interroger sur sa vie.

« Il est né en 2000 : a-t-il eu les vaccins comme il faut ? En 2006, a-t-il été envoyé à l’école ? L’école marchait-elle, ou était-ce un période d’années-blanches ? En 2008 est-il allé avec les saraguinas (coupeurs de routes?), ou bien a-t-il travaillé comme informel ? En 2012 est-il parti suivre les Seleka pour « ramasser » quelque chose ? En 2013 est-il devenu Anti-Balaka, ou leur « suiveur », pour encore essayer de survivre ? Et la balle qu’il a reçue, à qui était-elle destinée ? »

D’un seul coup – écrivait Michel, autre volontaire de l’équipe – les années de vie de cet enfant nous apparaissent comme le seul fil qui permette de regarder la situation d’aujourd’hui. Si on se remet dans la marche du temps, de la résistance de cet enfant pour se débrouiller à survivre avec ce qui était à sa portée, alors on ne cherche plus les coupables ou les sauveurs : on se remet devant notre responsabilité.