Se disperser… pour être plus en sécurité ?
Comment préserver la famille, les solidarités familiales, au cœur du tumulte et de la violence armée ? C’est la première préoccupation des Centrafricains, en particulier à Bangui.
C’est elle qui a conduit les familles à se disperser. Les habitants de Bangui ne sont pas restés blottis ou terrés chez eux, mais ont développé une toute autre stratégie, celle qui aboutit au résultat actuel : la moitié des habitants de la capitale (800 000 habitants) a quitté son domicile. Pourquoi de tels déplacements de population ? Pourquoi cette dispersion des familles dans la ville ? Certes, la crainte des dégâts collatéraux, des combats et les pénuries alimentaires constituent une bonne part de l’explication de cet exode massif, mais pas seulement.
A Bangui, l’équipe du Mouvement ATD Quart Monde, par les nouvelles qu’elle reçoit des uns et des autres, par les autres membres du Mouvement qui passent à la Cour[1], constate que c’est surtout par souci de sécurité que les familles optent pour l’éclatement dans différents lieux de refuge. Les mères et leurs plus jeunes enfants peuvent être dans un camp, ou accueillis chez un parent alors que les pères et leurs fils sont ailleurs.
Beaucoup de ces femmes, avec une incroyable capacité à faire face à tout, se réorganisent. Plusieurs d’entre elles parviennent à maintenir une activité là où elles sont : commerce, fabrication de farine de maïs, avec le peu d’ustensiles qu’elles ont emporté avec elles. Elles recréent leurs réseaux de fournisseurs ou de clients. Cette « économie » à une toute petite échelle subsiste et leur permet de survivre. C’est grâce à de telles activités qu’elles arrivent à tenir, elles et leurs enfants. Les aides et secours encore insuffisants ne leur parviennent pas.
Même dispersés, les membres de la famille ne se perdent pas de vue. Ils gardent entre eux le contact, par téléphone ou en se visitant. Ils ont quitté la concession… mais veillent sur celle-ci, autant que faire se peut, pour qu’elle ne soit pas pillée ou incendiée. A tour de rôle, les pères et leurs fils montent la garde pour sécuriser la maison. Parfois il leur faut changer d’abri chaque nuit, au gré des combats entre factions armées antagonistes se déplaçant dans le quartier.
Quand on peut anticiper, là encore on s’organise et les quelques biens des familles, matelas, petit mobilier, et ustensiles sont mis à l’abri chez les voisins, connaissances, clients, etc. Pour ne pas tout perdre, dans la crainte de pillage ou d’incendie.
Ainsi, dans bien des cas, il semble que se disperser soit perçu comme la meilleure des stratégies. Solliciter l’accueil d’une ou deux personnes dans la concession d’un parent est plus facile que pour une famille entière composée de quinze personnes. De plus, se disperser dans différents « lieux de regroupement spontanés » permet d’accéder plus facilement à des aides, soit locales, soit internationales (provision d’eau, d’aliments, de couchages) par les organismes des Nations Unies ou MSF, et d’exploiter diverses opportunités comme pouvoir vendre dans les petits marchés reconstitués dans les camps.
Pour les funérailles d’un parent tué lors d’une journée de panique dans le quartier, des habits funèbres ont été récupérés ici, un cercueil ailleurs. L’enterrement était prévu au cimetière, finalement le corps sera inhumé dans une concession de la famille car l’insécurité ne permettait pas de se rendre au cimetière.
La population de Bangui est aujourd’hui compressée sur la moitié de son territoire. Ces lieux de regroupement permettent parfois de retrouver des personnes perdues de vue, de faire de nouvelles connaissances, de partager les informations.
Les échos de meurtres, de maisons incendiées, circulent dans les camps et n’incitent pas à ce jour au retour dans son quartier d’origine. Cet horizon bouché altère fortement le moral des personnes qui, malgré tout, comptent les jours.
Le fil rouge des raisons de cette dispersion, c’est bien, à la fois, la force et les efforts déployés pour garder le contact entre tous, et la conscience que la famille est le plus fort rempart dans ce contexte incertain. En se « dispersant », en distendant les relations, on donne moins de « prise au vent » de la violence, assurés que tous ne seront pas « dans le même panier », restant chacun une force pour les autres. Et l’on garde l’espoir de pouvoir bientôt vivre de nouveau ensemble, et chez soi.
Refuser la haine
Chaque perte en vie humaine est une souffrance, aussi car c’est la crainte qui grandit que le fossé ne se creuse davantage entre les membres de la même nation. La plus grande aspiration est la fin du conflit, panser les blessures, se réconcilier. Avec courage mais aussi beaucoup de discrétion; et malgré la peur, des personnes de communautés religieuses différentes se soutiennent.
On résiste par la solidarité : ici, des familles plus exposées ont été protégées par des proches ou des voisins, parfois en prêtant des vêtements moins identifiables.
Là, quelques voisins réparent la porte cassée d’une habitation occupée par un vieux Monsieur. Ils ont récupéré une marmite et un tabouret pour lui qui n’a plus rien. Il a assisté au pillage, terré dans un coin de sa maison.
Une jeune adolescente a su trouver les mots pour calmer l’agressivité d’hommes armés venus chercher sa tante dissimulée dans une autre chambre.
De jeunes garçons ont pris dans leur pirogue, un homme présumé ex-Séléka, poursuivi par la foule. Tout le monde leur demandait de le mettre à l’eau. Ils ont résisté et ont déposé sain et sauf l’homme sur l’autre rive.
Les mains vides, beaucoup de Centrafricains refusent la haine entre les communautés au risque de leur propre vie.
Merci d’être là, et vivre…
Merci en plus de vouloir communiquer.