Réflexions d’un travailleur social centrafricain sur l’action humanitaire …

16 mars 2014 at 22 h 31 min

… Que l’aide humanitaire nous considère comme des êtres humains et pas que des « bénéficiaires ». 

Dans le centre communautaire dans un quartier de Bangui où je travaille, je vois les interventions des organisations humanitaires et leurs conséquences concrètes.

C’est en premier lieu l’impression que toutes ces ONG humanitaires interviennent n’importe comment, dans tous les sens. Motivées, c’est vrai, pour porter secours et améliorer le sort de personnes frappées par ces événements terribles.

Mais nous qui travaillons avec des jeunes qui vivent et souffrent cette situation précaire, des jeunes qui n’ont aucun lieu de refuge sinon le centre où nous sommes, où ils parviennent souvent épuisés, nous faisons un autre constat. Nous sentons combien ils ont aussi besoin d’un soutien moral, physique mais aussi besoin d’humanité.

J’en ai vu passer des « humanitaires ». Et plusieurs! Ils font des promesses mais qu’ils ne tiennent pas. Ou alors c’est tellement long et lent… Alors cela nous décourage. Certains, on ne les a jamais revus. Donner, c’est nécessaire, encore faut-il s’organiser pour cela. Nous n’avons pas le sentiment d’être respectés en tant qu’êtres humains ni reconnus en tant que structure organisée. Ces humanitaires passent outre, ils agissent selon leur propre point de vue, font comme ils le veulent et ne tiennent pas compte des avis des responsables locaux en charge du centre communautaire.

Et cela fait des dégâts. L’exemple typique est celui d’humanitaires qui ont voulu donner de l’huile et du riz, et ont suscité un problème très grave avec les enfants.

Au lieu de confier leur don à notre équipe, ils ont voulu effectuer la distribution eux-mêmes. Ils ont fait des portions individuelles pour chaque enfant. Cela a pris beaucoup de temps, et cela a créé de l’énervement parmi les enfants et les jeunes obligés d’attendre. Nous avons du faire face à cela. Mais ce qui semblait compter pour les membres de l’organisation humanitaire, c’était surtout de pouvoir faire des photos de chaque enfant recevant son colis.

Faute de bois pour pouvoir cuisiner, plusieurs enfants sont allés vendre le riz qu’on venait de leur distribuer.

Distribuer sans réfléchir, c’est sans suite. C’est le contraire de ce que nous essayons de faire au centre avec les enfants. Cela nous pose de graves problèmes dans notre travail.

Pourquoi faut-il réfléchir au suivi ? Cette réflexion est essentielle à nos yeux. Quand on distribue de la nourriture et des moustiquaires à des personnes livrées à elles-mêmes : quelles sont les conséquences ? Quel suivi les organisations humanitaires envisagent-elles ? Quel prolongement à ces actions  de distribution pourrait être envisagé ? Quand la crise sera finie et que la stabilité reviendra, tout le monde repartira. De telles actions humanitaires dans l’urgence se limitent à : on vient tout de suite, on court, on distribue et on repart, en laissant les gens dans leur situation.

Je crois qu’il faudrait que l’humanitaire crée quelque chose de très solide, mette en place un accompagnement qui permette ensuite aux gens de faire leur propre avancée.

Pour moi, cette crise politico-militaire qui a surgi, nous savons qu’elle reviendra si on ne cherche pas de solution durable. Face à cela, il faut que tous s’assoient et se parlent pour imaginer une solution durable, entre gouvernement, humanitaires et société civile.

Il ne faut pas se limiter à distribuer de la nourriture et des habits, mais s’asseoir ensemble pour discuter et créer les conditions d’un partenariat qui construira la solution.

Quand nous voyons tous ces humanitaires qui s’émeuvent et qui viennent nous soutenir,  comprennent-ils que c’est aussi leur façon de donner qui nous décourage ?

C’est cette façon de donner qui n’est pas la bonne : car alors ces personnes ne sont plus considérées comme des êtres humains mais comme des « bénéficiaires ». Alors faut-il s’étonner que tout ce qui a été distribué se retrouve ensuite sur le marché ?

Il faut aussi que les hommes politiques s’assoient avec nous, nous parlent. Pourquoi y a-t-il tant de haine ? Le rôle des organismes humanitaires devrait être aussi d’aider à cette concertation entre tous. Eux aussi doivent prendre le temps de s’asseoir et de réfléchir avec les gens du pays, et de manière collégiale. Mais ils n’écoutent pas. Ils agissent chacun de leur côté. Même entre eux ils ne s’entendent pas.

Voilà ce que je pense par rapport à l’intervention humanitaire dans mon pays. Il faut que l’action humanitaire ne soit plus une œuvre charitable mais bien le fruit d’une réflexion partagée.